L’offensive de la presse chinoise en soutien des vins nationaux

Ningxia wines

D’ici 2027, la Chine devrait être le premier pays consommateur de vin, selon le groupe Coface. Cet engouement est encouragé par le gouvernement chinois, dans le cadre de son plan quinqluennal 2016-2020 promouvant une élévation du niveau de vie et une consommation plus qualitative. 

Les médias chinois publient chaque jour une multitude d’articles consacrés au vin. Dans un contexte  de lutte anti-corruption et de frugalité imposée, les articles s’intéressant aux vins fins – principalement français – se font plus rares, car les projecteurs se sont déplacés. Le quotidien du sud  Nanfang Daily observe que de janvier à août 2015, le volume des  importations de vin a augmenté de 42,1%, principalement du fait de l’afflux de vins milieu et bas de gamme australiens, chiliens et néozélandais qui viennent de bénéficier d’un accord de libre-échange les exonérant de taxes, et peuvent ainsi « attaquer frontalement les vins chinois ». 

Les vins du Ningxia à l’honneur

La presse étatique s’emploie à défendre les vins nationaux. Le média gouvernemental en ligne China.com.cna couvert le « forum pour l’évaluation des vins chinois » tenu le 26 novembre à Pékin, au cours duquel étaient notées les productions des géants chinois du vin parmi lesquels les groupes Changyu, Niya, Tonghua, et les marques Great Wall, Grand Dragon. Il annonce en titre « les vins chinois sont du même niveau que les vins importés et sont déjà entrés dans la compétition internationale ». De son côté, le Quotidien du peuple relate l’événement et parle du « style unique et des particularités des vins chinois » et de l’émergence de neuf grandes régions de production chinoises.

Parmi elles, c’est la province du Ningxia et particulièrement la région des monts Helanshan qui est mise à l’honneur. Le China Economic Times publie une interview d’un responsable du parti local de cette région autonome Hui du Ningxia. « Nous avons mis dix ans à effectuer ce que la Napa Valley a réalisé en un siècle », affirme-t-il, tout en insistant sur le fait que « le vin des monts Helanshan résulte de petits vignobles, diversifiés et valorisés, et qu’il ne s’agit en aucun cas de production de masse. »  Le journal local Ningxia Newssouligne que la région des monts Helanshan a été multirécompensée lors des Challenges de la viticulture chinoise 2015. Il souligne que la région a été invitée à participer au Grand Tastingpar les dégustateurs Bettane et Desseauve selon lesquels  « les vins du Ningxia sont les vins chinois à plus fort potentiel ». Le magazine économique Caijing publie le classement des meilleurs vins chinois 2015  la Revue du Vin de France, avec un éclairage particulier sur les vins du Ningxia, du Xinjiang et du Hebei.

Prudence pour les acquisitions à l’étranger

Lorsque Sohu, l’un des principaux portails chinois d’information, publie un éloge du Chianti classico Nittardi, qui semble être le résultat d’un voyage de presse du journaliste en Toscane, le portail souligne en préambule que « cet article représente l’opinion de l’auteur et non celle de Sohu ». Les achats  de vignobles étrangers n’ont pas meilleure presse. Un article paru sur Sina, autre puissant portail chinois d’informations, mentionne le groupe Changyu, l’un des principaux producteurs chinois de vins qui vient notamment d’acquérir le Château bordelais Mirefleurs auprès du groupe français Castel, ainsi que le producteur de vin espagnol Marques del Atrio. « De plus en plus de grands groupes chinois multiplient les acquisitions à l’étranger, observe le journaliste, ce qui va provoquer un afflux de vins importés sur le marché chinois, qui entraveront l’essor des marques nationales ».  

Un autre article publié sur le site Economic Information Daily, édité par l’agence Chine Nouvelle, met en garde spécifiquement contre l’achat de vignobles bordelais, « très en vogue parmi les stars et les hommes d’affaires chinois ». « En réalité, sur la centaine de vignobles achetés par des Chinois, un seul est un grand cru classé – le Château Bellefont-Belcier – les autres sont des vins milieu – bas de gamme », affirme le journaliste qui est allé enquêter sur place. « Les vins de Bordeaux savent parfaitement soigner leur réputation à l’international, mais à côté des grands crus classés Château Lafite-Rothschild et Château Margaux, il existe de nombreux domaines qui produisent du vin en masse », poursuit-il, en soulignant que « l’exploitation d’un vignoble est complexe, c’est un vrai métier », avant d’avertir en conclusion qu’ « en matière d’investissement, l’important c’est de gagner de l’argent, et non de soigner son image. »

Ouverture de la presse spécialisée

C’est surtout dans la presse spécialisée que les vins étrangers peuvent espérer faire parler d’eux positivement. Le site Lookvinfondé à Hangzhou en 2013  parle de façon humoristique du vin australien Penfolds, et approuve le choix de son nom chinois,  Benfu, qui signifie ‘va vite vers la richesse’, en avançant qu’« un nom chinois impactant est crucial pour un vin étranger s’il veut toucher une autre cible que celle des officiels du parti ». L’article note aussi les prix peu élevés des vins espagnols : « si on recherche sur les sites de commerce en ligne les vins au prix inférieur à 50 yuans, 80 % des vins trouvés sont espagnols ». 

Dans cette nouvelle presse créée pour accompagner l’essor du marché du vin en Chine, les vins français ou italiens ont une place de choix, particulièrement dans les thématiques de dégustation et d’éducation. « Les Français font la distinction entre les Vins de Soif et les Vins de Garde », informe le site spécialisé Hongjiushijiewang [Le monde du vin rouge], en introduction d’un article se présentant comme un guide des vins qu’il faut garder. Dans un article intitulé « les 10 erreurs commises par 90 % des acheteurs de vin  », Hongjiubaikequanshu [L‘encyclopédie du vin rouge], autre site spécialisé très actif sur les réseaux sociaux chinois, Weibo et Wechat, explique que « certaines personnes pensent que le vin rouge est raffiné et riche, le vin blanc étant plus destiné à une consommation féminine. C’est faux, le Chardonnay de Bourgogne ou le Riesling allemand sont des vins blancs de dégustation complexes. » 

Un article relayé par le portail Sohudétaillant « les neuf éléments qui font un bon vin » est illustré uniquement par des vins français. Et pour les connaisseurs, le vin français est toujours la référence, et l’inspiration ultime, à l’instar de la critique de vins Herry Gao qui évoque dans le magazine 21Shijijingjishibao[La revue économique du 21e siècle] sa fascination pour le vin alsacien Domaine de Josmeyer, dont la dégustation a été un moment de révélation de sa vocation de critique. S’ils veulent avoir une place dans les médias chinois, les vins français ont donc encore une carte à jouer, du côté de l’expertise et de la pédagogie.