En rendant premium une boisson – le thé au lait ou bubble tea – auparavant basique en Chine et en provoquant le buzz sur Internet, de nouvelles franchises ciblent spécifiquement les millenials. L’une d’entre elles, la chaîne Heytea, semble sortir du lot.
Ifanr, le média chinois diffusé sur WeChat qui vise un lectorat de « lanceurs de tendances et de nouveaux styles de vie », a consacré une série de trois articles à la chaîne de boissons à base de thés au lait Heytea. « Mais pourquoiêtes-vous prêts à faire la queue pendant 4-5 heures pour une boisson Heytea ? », « Le thé au lait : la montée en gamme de la consommation des jeunesliée à l’économie de l’indice d’attractivité », « Avec sa popularitéen hausse et ses beaux magasins, Heytea est-elle encore loin de Starbucks ? » : les titres sont éloquents et donnent envie d’en savoir plus.
Fondée en 2012 à Jiangmen dans le Guangdong par Nie Yunchen, un ‘jiulinghou’ (90 后, né dans les années 1990), Heytea (initialement baptisée HEEKCAA, puis Heytea par commodité phonétique) compte aujourd’hui plus de 50 magasins essentiellement dans le sud de la Chine. La chaîne a annoncé en août 2016 avoir levé 100 millions de yuans et a ouvert son premier magasin à Shanghai au Raffles City en février 2017. Les longues files d’attente ont attiré l’attention de la presse locale qui s’est alors intéressée au revival du bubble tea. Le site d’informations Smart Shanghai a testé les boissons Heytea et relate son expérience mi-figue mi-raisin.
Internet Hotties
De son côté, le média Ifanr semble fasciné par ces longues files d’attentes « de jeunes adolescents et d’une vingtaine d’années qui consultent leurs smartphones et prennent des selfies. » Pour les auteurs de deux des trois articles, il s’agit d’une tactique de la chaîne pour provoquer le buzz sur Internet et transformer les boissons Heytea en ‘wanghong’ (网红, Internet Hotties). L’indice d’attractivité monte en flèche et le produit convoité prend de la valeur. Loin d’être rebutés par les longues heures d’attente, les clients rejoignent alors « une cérémonie de consommation qui s’apparente à un pèlerinage », analyse l’article.
« Si après la visite, sur les réseaux sociaux et sur Weibo, ils récoltent suffisamment de Likes, alors le long moment passé dans la queue en vaut la peine », poursuit l’article, qui se demande même si Heytea n’est pas allé jusqu’à rémunérer des personnes à la journée pour alimenter les files d’attente. Pour Ifanr, cette quête sans fin d’approbations, cette peur de louper le coche et cette hantise du rejet caractéristiques des jeunes Chinois sont le moteur de l’économie de l’indice d’attractivité qui entraîne in fine une premiumisation de la consommation, « l’expression actuellement la plus commune pour décrire la classe moyenne. »
« le troisième espace »
L’auteur du troisième article, en revanche, estime que ces longues files d’attente traduisent plutôt un problème de demande supérieure à l’offre « à régler d’urgence ». « Ces failles dans la politique d’approvisionnement, ainsi que l’absence de programme de fidélisation sur Internet, montrent que par rapport à Starbucks, Heytea en est encore au stade basique », décrète-t-il.
Les points communs entre les deux chaînes sont pourtant nombreux – positionnement milieu-haut de gamme, bonne localisation, décoration soignée, standardisation qui garantit la qualité des produits dans tous les magasins, carte qui suit les saisons – et la rentabilité de Heytea est même supérieure à celle de Starbucks, affirme l’auteur.
Mais le chemin est encore long si Heytea veut réussir à devenir, à l’instar de Starbucks, « le troisième espace », c’est-à-dire l’endroit privilégié pour passer du temps en dehors de la maison et du travail. « Ces longues files d’attente et les magasins bondés ne permettent pas de créer une atmosphère propice à la détente », souligne l’article qui note toutefois l’effort récent de Heytea avec l’ouverture d’un Heytea Mix à Canton. Premier de la chaîne à proposer de la restauration solide et à s’étendre sur plus d’un étage, le nouveau magasin propose de la dégustation aux premier et deuxième étage et un espace d’exposition artistique au troisième (sur plus de 200 m2 par étage).
« Les challenges sont nombreux avant que Heytea ne puisse jouer dans la même cour que Starbucks, conclut l’article, comme par exemple la conquête du Nord de la Chine qui n’aime pas les mets sucrés. » L’auteur n’incite pas pour autant Heytea à se trouver un autre modèle, ou à innover par elle-même.