Les non-dits de l’industrie du luxe en France

Chinese characters : Luxury/Shame

Que cache l’apparition d’une multitude de vendeurs chinois dans les boutiques de luxe parisiennes ? Loin de se réjouir de voir de nombreux compatriotes – dont certains parlent peu le français – recrutés par les plus grands groupes de luxe, le compte WeChat « 欧时大参 » estime au contraire que les Chinois sont victimes de discrimination, qu’ils soient employés ou clients.


A la suite du violent « incident Balenciaga » au Printemps Haussmann qui a provoqué la colère des internautes chinois, le compte Wechat  » 欧时大参 » (« Mettons-nous à l’heure européenne ») a publié une enquête effectuée auprès d’employés chinois dans les grands magasins et les boutiques de luxe à Paris. Tous se déclarent « pas surpris » de l’incident Balenciaga, car selon eux, les directives sont de traiter différemment la clientèle chinoise et de ne pas craindre de la faire attendre. L’accueil personnalisé avec des égards ne serait réservé qu’à la clientèle locale, l’une des personnes interrogées ayant même lu une note de service interdisant d’offrir des rafraîchissements aux Chinois.

« Parler chinois suffit »

En tant qu’employés, la situation ne semble pas plus réjouissante. La déception est à la hauteur des attentes. « Je pensais avoir décroché un job de rêve. Mais j’ai dû déchanter », dit un employé. Dès l’embauche, les critères sont différents. « Parler chinois, c’est tout ce qu’on nous demande. Rien n’est exigé en termes d’expérience de vente, de spécialisation ou encore d’apparence », dit une employée, selon laquelle ses collègues locaux sont beaucoup plus triés sur le volet.

Et les perspectives d’évolution sont apparemment limitées, les postes de management étant réservés aux Français. « Les clients chinois achètent beaucoup plus que les locaux. Mais aucun mérite ni encouragement financier ne nous est attribué sur ces ventes, nous sommes juste considérés comme des machines à recevoir du cash », déplorent deux employés, qui reconnaissent toutefois que beaucoup de clients chinois ont déjà prévu précisément ce qu’ils veulent acheter et montrent simplement aux vendeurs la liste d’articles sur leur téléphone portable.

Les 3 caractères shēchǐpǐn (produits de luxe) : le caractère chǐ 侈 
peut-il être remplacé par son homonyme 耻 (honte, disgrâce) ? 
(Source : Wechat)

Autre culture du luxe 

Les auteurs de l’article, Pan Yueping (潘越平) et Yang Yuhan (杨雨晗), citant l’étude 2017 de McKinsey sur le luxe en Chine qui prévoit que les consommateurs chinois représenteront 44 % du marché mondial du luxe en 2025 contre 33 % en 2017, s’interrogent : « Alors que les deux tiers des achats de luxe des Chinois ont lieu hors de Chine, pourquoi ne pas s’efforcer de capter cette croissance ? » Une employée sondée donne une piste de compréhension. Selon elle, la réponse est à chercher du côté de la « culture d’entreprise » des groupes de luxe qui veulent différencier clairement « les authentiques consommateurs » des « consommateurs occasionnels ». Seule la première catégorie étant considérée comme digne d’être valorisée et gardée.

Investir en particulier dans la fidélisation des nombreux touristes et « daigou » (acheteurs mandatés par des Chinois restés en Chine), « n’a aucun sens pour les marques de luxe, même si le pouvoir d’achat de cette clientèle est très élevé », poursuit-elle. Par ailleurs, traiter les clients locaux « comme des rois » peut s’expliquer par le fait que s’ils sont mécontents, ils auront le temps d’aller se plaindre, contrairement aux touristes chinois à l’emploi du temps minuté. Et puis, concède-t-elle, la consommation des produits de luxe par les Chinois reste encore peu réfléchie et immature. « En France, on voit peu de locaux presser leurs sacs Chanel dans le métro, alors qu’en Chine, l’attitude vis-à-vis des produits de luxe est peut-être un peu trop impétueuse. »

Nouvelle clientèle

Toutefois, les auteurs de l’article préviennent que la situation pourrait évoluer. Ils citent une étude Deloitte qui a observé une baisse de la différence de prix des produits de luxe entre la Chine et l’Europe. Elle serait passée de 41 % en 2016, à 32 % en 2017, ce qui pourrait à terme remettre en cause la suprématie de « l’achat à l’étranger ».

La clientèle chinoise change, également. En 2025, les millennials devraient représenter 45 % des acheteurs chinois du luxe. Moins adeptes de l’achat raisonné que leurs aînés, ils seront aussi moins faciles à fidéliser car ils sont plus sensibles aux modes et plus impatients. Et l’essor du commerce en ligne, pour l’instant peu développé par les marques de luxe, pourrait achever de modifier la donne. Et mettre fin à la prolifération des daigous et des files d’attente des touristes chinois devant les boutiques de luxe parisiennes.