Sur WeChat, Gucci s’invente une ‘voix hybride’

Gucci Tian

À la fois élitiste et dans l’air du temps, ludique et éducatif, le compte WeChat de la marque de luxe Gucci a trouvé le bon ton pour s’adresser aux Chinois dans leur propre langue, selon une spécialiste du décodage culturel qui s’est exprimée à China Connect Paris.

Actuellement, Gucci fait partie des happy few. Ce club restreint des griffes occidentales qui affichent une croissance en Chine, le premier marché du luxe au monde. La marque italienne propriété du groupe français Kering recueille les fruits de ses choix stratégiques, notamment en termes de marketing en ligne. Elle a en effet été l’une des premières marques de luxe à ouvrir un compte en 2013 sur WeChat, le réseau social chinois le plus populaire. Audacieuse et qualitative, sa ligne éditoriale a séduit une large audience chinoise.

« Gucci a réussi à créer un contenu interactif et impliquant », a estimé Laurence Lim Dally, directrice générale de Cherry Blossoms Market Research & Consulting, agence spécialisée dans le décodage culturel et la localisation de marques. Invitée de Laure de Carayon, organisatrice de China Connect, la conférence d’experts en marketing numérique et mobile chinois réunis mi-mars à Paris, elle a détaillé les tendances porteuses et les stratégies gagnantes des marques de beauté et de luxe en Chine.

Pour elle, « le contenu WeChat de Gucci est vraiment unique car il est extrêmement culturel. C’est même intellectuel, ils parlent d’art classique. Autre particularité : ils ne parlent presque jamais directement des produits Gucci, mais plutôt d’inspirations culturelles. »

Perspective chinoise

Comment la marque parvient-elle à ce résultat ?  «Par la métabolisation culturelle, explique-t-elle. En prenant une perspective chinoise, elle traduit un contenu occidental de qualité. Et elle utilise pour cela différents types de médiation. »

Concernant les KOL (Key Opinion Leaders), ambassadeurs ou influenceurs, elle choisit des célébrités locales qui parlent en chinois. Ces personnalités expriment leur propre opinion et exposent beaucoup de photos personnelles, ce qui les démarque des autres. Par exemple, l’actrice chinoise Nini (倪妮), ambassadrice de Gucci, a fait un récit de son voyage en Italie à la manière d’un journal intime, illustré de ses propres photos.

Nini (倪妮)
Nini (倪妮) © Gucci – WeChat

Gucci a également demandé à quatre PDG, dont Dai Kebin (戴科彬), fondateur du site leader du recrutement en Chine, Liepin.com ((猎聘网), de parler de leur manière de s’habiller au bureau. Ils étaient invités à se confier sur leur ‘face A’, leur allure générale donnée par leur choix de costume, et leur face B, les détails de leur tenue qui leur permettent de s’exprimer plus personnellement.

Dai Kebin (戴科彬)
Dai Kebin (戴科彬) © Gucci – WeChat

« Gucci était pionnière et beaucoup de marques ont repris l’idée », selon Laurence Lim Dally, qui pense que les KOL sont toujours intéressants pour les marques s’ils donnent une impression d’authenticité et d’accessibilité.

Un autre type de médiation est la transposition culturelle du contenu. Par exemple, pour présenter une collection homme, ils ont demandé à des historiens d’établir des comparaisons entre les modèles Gucci et les tenues portées par les dandys chinois dans le Shanghai du début des années 1920.

© Gucci - WeChat
© Gucci – WeChat

Un article avait auparavant été consacré à la collection Tian du directeur artistique de Gucci, Alessandro Michele, inspirée par les peintures traditionnelles chinoises de fleurs et d’oiseaux du 18e siècle (photo en tête © Gucci – WeChat). « C’est une manière vraiment unique de rendre hommage à la créativité chinoise quand nous voyons tant de marques être condescendantes vis-à-vis de la Chine », selon Laurence Lim Dally.

Cocktail original

Le contenu éducatif est également essentiel pour susciter l’engagement du public chinois. Cela crée de la valeur ajoutée pour les consommateurs chinois qui aiment le story telling autour des produits qu’ils peuvent partager. Laurence Lim Dally souligne comment le compte WeChat de Gucci « parvient à construire cette voix hybride avec cette langue de haut niveau, parfois académique, assez élitiste, qu’ils ont mélangée avec un jargon Internet fait de mots et expressions très accessibles. Ils ont vraiment conçu un cocktail original de mots et d’expressions qui créent un langage unique. »

De nombreuses marques suivent cette voie avec plus ou moins de succès. « C’est un autre défi majeur, insiste Laurence Lim Dally, qui est souvent sous-estimé par les marques : travailler leur ‘voix’, lorsqu’elles s’adressent à un public chinois en chinois. Leur ton et leur rhétorique restent souvent commerciaux, trop chargés en superlatifs. A l’opposé du spectre, la ‘voix’ des marques peut aussi être distante et froide, très loin du langage poétique, sophistiqué et créatif que les Chinois peuvent davantage attendre des marques de luxe. » La Chine les confronte à un miroir déformant et les oblige à se réinventer une identité forte.