A la recherche de la future marque de mode chinoise globale

BoF China Prize

Le magazine en ligne Business of Fashion lance une compétition parmi une sélection de jeunes créateurs de mode chinois à fort potentiel. Du jamais vu dans un secteur de la mode qui a toujours entretenu une relation complexe avec la Chine.

« Le premier prix international de mode dédié aux stylistes chinois émergents ». Le magazine en ligne pour les professionnels de la mode Business of Fashion a inauguré durant la fashion week de Shanghai son BoF China Prize. « Il existe de nombreux signes révélateurs d’un écosystème arrivé à maturité. L’un des plus importants est l’émergence de créateurs locaux capables de construire des marques de classe mondiale », déclare le magazine basé à Londres.

Caroline Hu
L’une des finalistes, Caroline Hu de la marque éponyme | Source: Courtesy

L’initiative est notable alors que la presse internationale s’intéresse très peu au secteur de la mode chinois. Peut-être est-ce dû à l’absence de marque chinoise de mode de renommée planétaire. Ou aux marques chinoises comme Bosideng et Icicle (le repreneur de Carven) qui n’ont pas encore trouvé la bonne stratégie pour reproduire en Occident leur succès local. Ce manque d’intérêt est flagrant si on le compare avec le retentissement dans les médias généralistes de la montée en puissance des jeunes designers chinois – même le Financial Times a publié un long article sur les marques émergentes exposées à Design Shanghai.

Orientalisme désuet

« Le secteur de la mode a une longue et souvent inconfortable histoire avec la Chine », affirme CGTN. Rappelant les récentes « campagnes de publicité désastreuses » des marques Dolce & Gabbana, Burberry et Zara en Chine, le site officiel de la chaîne étatique China Global Television Network évoque aussi l’exposition ‘China : Through the Looking Glass’ organisée par le Metropolitan Museum of Art de New York en 2015. Il prend à son compte une citation du curateur Andrew Bolton selon lequel beaucoup de modèles présentés, signés des plus grands créateurs de mode, incarnaient un fantasme de l’Occident vis-à-vis de la Chine, mais pas le pays proprement dit.

Li Yushan Zhou Jun
Deux des finalistes, Li Yushan et Zhou Jun de la marque Pronounce | Source: Courtesy

« Du point de vue chinois, ces stéréotypes séculaires évoquent un passé pas si lointain dans l’histoire du pays, chargé en troubles et humiliations infligées par des puissances étrangères », estime CGTN, qui souligne que « cela va à l’encontre des aspirations saines et cosmopolites de la classe moyenne chinoise devenue aisée. »

Justement, pour Muriel Piaser, consultante en développement international dans la mode, la sélection des six marques finalistes du BoF China Prize « est très pertinente et reflète la jeune génération de créateurs chinois empreinte de mix entre tradition et modernité  notamment influencée par les réseaux sociaux et l’ère digitale marquée. »

Lin Wei Zhang Mijia
Deux des finalistes Lin Wei et Zhang Mijia de la marque PH5  | Source: Courtesy

Vague montante

L’émergence des jeunes créateurs chinois se fait de plus en plus visible. Le mois des défilés de mode, qui s’est achevé mi-mars à Paris après New York, Londres et Milan, a vu 42 d’entre eux présenter leurs collections, allant des vétérans Guo Pei et Shiatzy Chen à Zhang Huishan, basé à Londres. « Arrachant l’étiquette de contrefaçon et de mauvaise qualité, les stylistes chinois ne sont plus obnubilés par les symboles traditionnels et ostentatoires du patrimoine chinois. Leurs identités particulières permettent à la jeune génération d’imaginer des concepts plus subtils et contemporains, mixant les influences orientales et occidentales pour devenir des acteurs mondiaux », poursuit CGTN.

Qiu Shuting
La finaliste Qiu Shuting de la marque éponyme | Source: Courtesy

Titulaires de passeports chinois, les finalistes du BoF China Prize ont tous été formés aux Etats Unis (Parsons) ou en Europe, principalement en Angleterre (Central Saint Martins) mais aussi en Belgique (Royal Academy of Fine Art d’Anvers) et en Italie (Istituto Marangoni). Loin d’être une remise en cause du niveau de formation des écoles de mode chinoise, Muriel Piaser estime que cela démontre plutôt de la part de ces jeunes entrepreneurs « un souhait d’intégrer l’industrie de la mode à un niveau global, ce qui est incontournable de nos jours pour envisager un futur pérenne d’une marque. »

Zhou Shimo et Une Yea
Les deux finalistes Zhou Shimo et Une Yea de la marque Staffonly | Source: Courtesy

Soutien marketing

Selon elle, la sélection affiche « une identité affirmée en termes de produits avec un marketing intelligent incontournable pour une stratégie de développement de marque de nos jours. » Cet aspect est aussi abordé par Mo Hong’e, Program Leader pour le MA in Fashion Marketing and Branding à la Winchester School of Art de l’université de Southampton, qui a signé une tribune dans le China Daily. « S’il y a lieu de se réjouir de cette prolifération des jeunes talents chinois à l’international, d’autres pièces du puzzle doivent être mises en place pour avoir réellement la capacité de contester l’hégémonie des marques de mode françaises et italiennes », explique-t-elle, en affirmant que « les créateurs chinois ont désespérément besoin de soutien dans tous les domaines relatifs à la création et au management d’une marque internationale. »

Chen Xuzhi
Chen Xuzhi de la marque Xu Zhi | Source: Courtesy

C’est précisément ce que le BoF China Prize entend offrir. La marque lauréate aura l’opportunité de présenter un défilé dans le cadre du calendrier officiel de la Fashion Week de Londres en septembre 2019. Elle recevra un montant de US$ 100 000 et pourra bénéficier du réseau de BoF. Le prix est organisé en partenariat avec Yu Holdings, « dont les investissements récents comprennent Mary Katrantzou, Cefinn, Tujia, le rival chinois d’Airbnb et le géant technologique chinois Didi Kuaidi », précise Business of Fashion.

« La faim et le désir de construire la première marque chinoise de mode mondiale sont tels que ce n’est sûrement qu’une question de temps », prévient Mo Hong’e. Pour Muriel Piaser, la marque Uma Wang de la créatrice éponyme, basée à Shanghai « a d’ores et déjà les critères requis pour un développement global. » Fondée en 2009, Uma Wang a été choisie en 2012 par le Council of Fashion Designers of America pour figurer dans la première édition de son China Exchange. Depuis quelques saisons, elle défile à Paris. Elle compte une boutique phare à Shanghai et des points de vente dans le monde entier, principalement en Chine et en Italie. Naissance en Chine, reconnaissance à New York, défilés à Paris : le portrait-robot de la marque de mode du futur ?