Les marques chinoises face à « l’effet Huawei »

Le monde entier s’interroge sur la probabilité de voir d’autres sociétés chinoises « blacklistées » par le département du commerce américain, dans le sillage du géant chinois des télécommunications Huawei. « Les entreprises chinoises pourront-elles faire face ? », questionne l’éditorialiste Liu Qiudi ( 刘裘蒂 ) dans l’édition chinoise du Financial Times.

Les marques chinoises sont confrontées à une crise de crédibilité sur la scène internationale, selon Liu Qiudi, une Chinoise basée aux États-Unis qui collabore à l’édition chinoise du Financial Times. C’est le premier « effet Huawei » et aussi le résultat d’une mauvaise couverture médiatique après un an de guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, explique-t-elle dans un éditorial qu’elle a publié sur le site de microblogging chinois Weibo.

Liu Qiudi cite Richard Edelman, président de la société de conseil en relations publiques Edelman, qui a prononcé un discours en avril dernier lors de la réunion annuelle du Comité des 100, une organisation de dirigeants américains d’origine chinoise. Selon lui, l’image globale des marques chinoises est endommagée car les médias ont largement relayé les soupçons liés à la sécurité à propos de Huawei.

L’attention mondiale portée à Huawei s’est considérablement accrue à la suite de l’arrestation et de la détention à la demande des Etats-Unis de Meng Wanzhou, directrice financière et fille du fondateur de Huawei, Ren Zhengfei. Mais auparavant, selon Richard Edelman, les entreprises chinoises étaient déjà mal classées au sein du « Edelman Trust Barometer ». Selon cette enquête mondiale menée de mi-octobre à mi-novembre 2018 (publiée en janvier cette année), seuls 40% des sondés faisaient confiance aux entreprises chinoises, alors que les entreprises allemandes, suisses et canadiennes recevaient un taux de confiance de 70%. Quant aux entreprises américaines, elles étaient gratifiées d’un taux de confiance de 54%.

« Une autre enquête a été réalisée en mars et elle révèle à quel point les facteurs liés à Huawei pèsent lourd. Entre octobre 2018 et mars 2019, la confiance dans les marques chinoises a diminué de 5 à 6 points de pourcentage », a poursuivi Richard Edelman. « C’est un problème que les entreprises chinoises, qu’elles soient publiques ou cotées en bourse, doivent traiter en priorité. Les entreprises chinoises doivent établir des rapports expliquant leur action en termes de développement durable. Elles doivent être mieux gérées. Elles doivent améliorer leur image et leur style de communication. »

Marché américain : y aller ou pas ?

Selon le cabinet international de conseil en marques Interbrand, parmi les 100 meilleures marques au monde en 2018, une seule société chinoise a été sélectionnée : Huawei se classe 68e (elle était 94e en 2015). « Le classement exige que les sociétés figurant sur la liste soient réellement impliquées dans des opérations à l’international, avec au moins 30% de leur chiffre d’affaires réalisé en dehors de leur pays d’origine. Cependant, Interbrand estime que le développement de marques à l’international est précisément le domaine où les entreprises chinoises sont confrontées à de grands défis », écrit Liu Qiudi.

Le marché américain a toujours été le terrain d’entraînement où les entreprises chinoises aspirent à s’entraîner et à s’améliorer, avec les standards les plus élevées, affirme-t-elle. « Maintenant, avec le soi-disant « effet Huawei », certaines marques diront peut-être : « Laissons tomber le marché américain. » Mais les États-Unis restent le marché le plus efficace pour renforcer la crédibilité d’une marque. Si la Chine se détournait du marché américain en raison de la pression politique des États-Unis, cela aurait un impact négatif sur l’internationalisation de ses propres marques.»

L’éditorialiste mentionne également l’enquête menée auprès des PDG de la Chine et des États-Unis par le National Committee of U.S.-China relations et le Comité des 100, rendue publique le 5 avril.

Le rapport note que bien que 68% des PDG des deux pays annoncent qu’ils donneront la priorité au marché de l’autre pays au cours des cinq prochaines années, ceux qui déclarent ne pas accorder la priorité à l’investissement dans l’autre pays sont des dirigeants chinois. Seulement 27% des personnes interrogées ont affirmé que leur marque était affectée par les tensions entre les États-Unis et la Chine, mais les deux tiers des personnes concernées étaient des PDG chinois.

Relations publiques internationales pertinentes

Quand Liu Qiudi est revenue en Chine en novembre dernier, elle a été surprise de voir encore à la télévision chinoise un dirigeant de Huawei lors d’une réunion vantant la « culture du loup » (狼性文化) de Huawei. « Cette déclaration ne prend absolument pas en compte l’opinion publique étrangère. Dans le contexte international, la « culture du loup » a été assimilée à un comportement « prédateur », y compris concernant la question des droits de la propriété intellectuelle », fait-elle remarquer.

Elle pense également que la réaction de DJI face aux problèmes de sécurité n’était pas appropriée. Le géant chinois des drones est soupçonné d’utiliser des composants nuisibles aux données des utilisateurs et de partager des informations avec des serveurs accessibles au gouvernement chinois. Afin de démentir les allégations du U.S. Department of Homeland Security, « DJI a fait une déclaration publiée sur le compte Weibo du journal étatique chinois Global Times, au lieu de la diffuser via ses propres communiqués de presse ou Twitter », rapporte Liu Qiudi. En outre, l’explication de DJI semble ne répondre qu’aux questions de sécurité d’ordre technique et ne permet pas de réfuter directement et efficacement les accusations liées à la circulation des données.

« Lorsque les entreprises chinoises veulent faire entendre leur voix sur la scène internationale, si elles donnent l’impression d’être étroitement liées aux médias nationaux, cela renforce le stéréotype selon lequel les entreprises et le gouvernement chinois entretiennent des liens étroits », affirme Liu Qiudi, qui pense que DJI devrait communiquer à travers une variété de médias chinois et occidentaux en même temps.

Pour elle, l’expérience de Huawei deviendra sans aucun doute un cas d’école pour les entreprises chinoises. « Si les entreprises chinoises peuvent en tirer une leçon, c’est de comprendre l’importance de disposer certes de puissance technologique, mais aussi d’une bonne gestion et de solides relations publiques internationales. »