La Chine, nouveau pays du design ?

China Design Maison & Objet

Le salon Maison & Objet se tourne cette année vers la Chine pour décerner ses Rising Talent Awards. Les six designers sélectionnés – uniquement des hommes, ce qu’on peut regretter, l’objectif de l’opération étant de promouvoir des talents censés incarner la modernité et esquisser la Chine de demain – exposent leurs créations aux Galeries Lafayette Haussmann jusqu’au 19 février.

Après le Liban et l’Italie, la 5e édition des Rising Talent Awards s’intéresse cette année à la Chine. Pour former son jury, le salon Maison & Objet a fait appel à sept personnalités du monde du design chinois ou occidental. Y figurent notamment Qu Guangci, fondateur de la marque de design X + Q Art, et le designer londonien Tom Dixon. Les jurés ont sélectionné six jeunes designers chinois, tous nés et travaillant en Chine (à l’exception de Hongjie Yang qui vit aux Pays Bas), certains ayant étudié à l’étranger.

Le designer industriel italien Luca Nichetto, membre du jury, souligne : « Le plus intéressant, c’est cette quête d’identité du designer chinois, ce refus d’être un copier-coller du design occidental, et de se fondre dans les héritages séculaires et les riches traditions de l’artisanat chinois. Jusqu’à présent, tout nous démontre qu’ils vont dans la bonne direction. Je suis très curieux de voir comment cela va évoluer. »

Recherche d’un langage culturel propre

Un autre membre du jury, Lyndon Neri, cofondateur du cabinet shanghaien Neri & Hu, ajoute : « Face à la croissance fulgurante de l’économie de la Chine et à son besoin de se forger un langage culturel propre, un grand nombre de designers émergents a commencé à travailler sur le problème de l’héritage et de l’identité. Et ce, chacun avec leur propre voix. »

L’un des ‘rising talents’, le pékinois Franck Chou, est l’auteur de la chaise Middle, inspirée de la chaise chinoise traditionnelle en bambou. Il a conçu aussi un canapé modulable Combo fabriqué en utilisant des procédés de rembourrage fait à la main, actualisés par des associations de cuir, de laine et de tissu. « Mes créations n’ont pas de caractéristiques orientales évidentes, mais en réalité, leurs idées et leur inspiration proviennent de réflexions profondes sur les modes de vie orientaux modernes et futurs », explique-t-il.

Franck Chou Middle chair
La chaise Middle de Franck Chou(©  Galeries Lafayette)

Autre talent sélectionné, Ximi Li, fondateur de la marque de mobilier URBANCRAFT basée à Shanghai, déclare avoir été très marqué par le designer italien Andrea Branzi avec lequel il a travaillé de 2009 à 2010. « Grâce à mes expériences en Chine et en Italie, je me pose certaines questions : est-ce que mes créations peuvent être comprises par les Européens ? Est-ce que les Chinois se sentiront touchés par mes designs ? », s’interroge-t-il. Les collections URBANCRAFT comprennent la coiffeuse Jiazhuang en acier inoxydable, cuir et bois de chêne, inspirée du coffret à bijoux traditionnel chinois.

URBANCRAFT Ximi Li
Lampe URBANCRAFT ( (© Galeries Lafayette)

Conscience des enjeux environnementaux

Installé à Hangzhou après avoir parcouru la Chine et le Népal, Mario Tsai a quant à lui un mantra : « moins de matériaux pour un meilleur design ». Il a par exemple imaginé un système de tables qui ne nécessite qu’un seul type de pied, substituable, à utiliser sur des tables de tailles différentes. « J’essaie toujours d’utiliser moins de matériaux et de limiter les étapes de production, afin de créer de meilleurs designs. Cela permet non seulement de réduire les coûts pour mes clients, mais aussi d’économiser les ressources et de protéger l’environnement. Ce mantra me rappelle de toujours suivre une approche de conception durable. »

Mario Tsai Pig table
La table d’appoint Pig de Mario Tsai (© Galeries Lafayette)

Ces préoccupations sont partagées par Hongjie Yang, dont les créations combinent des lignes nettes avec un fouillis de matière brute. Son miroir Synthesis Monolith, sa table basse et son banc en aluminium sont à la fois naturels et travaillés, évoquant des sculptures à moitié achevées. « À mon avis, la nature telle que nous la connaissons touche à sa fin. Beaucoup de mes travaux sont le fruit de ma recherche vers une nouvelle sorte d’esthétique, qui transcenderait le clivage entre la puissance de l’homme et la nature », commente-t-il.

Chen Xingyu, le cofondateur de la marque de design Bentu, s’intéresse de son côté à la régénération des matériaux. Le but du design est selon lui de découvrir les problèmes importants existant dans la société et de fournir des solutions. « Après le développement fulgurant de la Chine, on a vite constaté l’impact de la surcapacité sur le territoire comme sur la société. En tant que designers, nous devons absolument faire quelque chose, affirme-t-il. Nous devons porter une attention particulière aux déchets et aux matériaux inutiles de l’industrie d’aujourd’hui, tels que les déchets de construction, le charbon de bois, les déchets de céramique quotidiens, la bouse de yak sur le plateau du Tibet, la cendre d’os et même les déchets de pierres quelconques. Grâce au design et à la production industrielle, nous pouvons les transformer en objets. »

Bentu Chen Hingyu
Table Bentu (© Galeries Lafayette)

La dernière collection Terrazzo de Bentu (photo ci-dessus) recycle les déchets de céramique provenant de la ville de Foshan (dans le Guangdong au sud de la Chine), centre majeur de l’industrie de la céramique. La collection s’inspire de la texture originale du terrazzo et utilise du béton, des restes d’agrégats de pierre et des déchets de céramique pour fabriquer des produits tels que le Yuan Plantpot ou les suspensions Tu et Planet.

Un secteur encore balbutiant

Chen Furong, fondateur de la marque WUU, mène des recherches poussées sur les matériaux et l’artisanat, qu’il allie avec la technologie. Il a ainsi créé les lampes profilées Touchable Light dont les composants imbriqués permettent un réglage automatique. Pour lui, ces années de forte croissance qui ont vu la Chine s’établir comme leader mondial de la chaîne d’approvisionnement industriel ont eu un impact. « L’artisanat de la Chine a une longue histoire, qui s’enracine dans le développement des traditions et de la culture de notre pays. Nous comptons de nombreux artisanats différents, tous fascinants, du plus simple au plus exquis, et qui tous révèlent les caractéristiques et le mode de pensée de l’Orient. Cependant, en raison d’un développement économique très rapide, l’artisanat semble avoir perdu de son importance. Lorsque le rythme ralentira enfin, et que nous aurons plus de temps pour nous pencher sur la façon dont on appréhende la vie, l’artisanat chinois se développera de manière plus poussée dans la société contemporaine », espère-t-il.

Le temps ne semble pas encore venu où les designers chinois pourront s’appuyer sur la puissante base de fabrication locale. Car de nombreux défis les attendent encore. « Je crois que la base sous-jacente de la mise en œuvre du design est trop faible, estime Franck Chou. Un concept ne peut pas être isolé et mis en œuvre indépendamment. Nous avons besoin de commerce, de fabrication, de management et de gestion de marque adaptés au monde du design, ainsi que de valeurs de business pour le design et de plateformes écologiques pour nous soutenir. Le développement du design en Chine ne fait que commencer, mais c’est peut-être la meilleure période pour les designers. » D’autant que les critiques occidentaux commencent à prendre au sérieux les créateurs chinois. A l’instar des stylistes de mode, qui vont pouvoir concourir cette année lors de l’édition inaugurale du BoF China Prize, lancé par le site d’informations en ligne Business of Fashion.