L’Europe sous influence, en quête de réciprocité

China Watch Figaro

Ouvrez les yeux, stoppez la naïveté. Pays de l’Union européenne, unissez-vous pour défendre vos intérêts face à la Chine. Voici en substance le message du livre que viennent de publier deux spécialistes des relations Europe-Asie.

« L’Europe battue en brèche par une Chine qui ne suit les règles internationales qu’à son profit et réduit l’intégration européenne et ses règles à un marché commode d’accès et sans contrepartie ? » Dès l’introduction, François Godement donne le ton de son nouveau livre ‘La Chine à nos portes. Une stratégie pour l’Europe’ (Editions Odile Jacob), coécrit avec Abigaël Vasselier.

Il semble bien révolu le temps où les observateurs occidentaux, pleins d’optimisme et de croyance dans la suprématie de leur modèle économique, pensaient que la Chine, de plus en plus ouverte, finirait par adopter l’économie de marché et l’Etat de droit.

2008 – 2018 : décennie charnière

« L’expérience de ces quelque dix dernières années est celle d’un tournant silencieux mais considérable. Il existe désormais un profond déséquilibre entre la Chine et l’Europe qui continue à s’aggraver. La Chine s’est implantée toujours plus solidement en de nombreux points du front économique européen, tandis qu’à bien des égards elle a fermé les portes de son marché national à l’Europe », analysent les auteurs.

Selon eux, la présence de la Chine en Europe se fait sentir non seulement avec l’afflux de produits et de touristes chinois, mais également à travers ses investissements, ses crédits, ses regroupements avec des ensembles d’États régionaux en marge de l’Union européenne, son influence et sa diplomatie publique ou encore des liens qui se multiplient dans le domaine militaire et de la défense.

Chacun de ces aspects est détaillé dans le livre – qui s’attache aussi à passer au crible les relations bilatérales de chacun des 28 pays de l’Union européenne avec la Chine, « adepte de la diplomatie du pick and choose. » Chinessima s’est intéressé particulièrement au chapitre consacré à l’influence de la Chine en Europe.

Soft power multiforme

Dans l’ensemble, estiment les auteurs, la diplomatie publique et le lobbying chinois connaissent une forte progression en Europe. « Ils n’ont toutefois pas encore atteint le niveau d’influence de la Chine dans les pays d’Asie du Sud‑Est ou en Australie, et nombre de leurs promoteurs sont en réalité des agents européens indépendants à la recherche de liquidités chinoises. »

Parallèlement à la finance et au commerce, le soft power chinois s’étend à l’éducation et aux médias. Les auteurs abordent le sujet sensible des instituts Confucius, qui proposent des cours de langue et de culture chinoise a priori inoffensifs. « Mais, contrairement à l’Alliance française, au British Council ou au Goethe Institut, ils sont presque systématiquement intégrés dans les universités. Leurs supports pédagogiques sont fournis par la Chine, et les projets qu’ils proposent, comme les conférences, sont approuvés au préalable par le bureau central à Pékin. Ils représentent aussi une source, certes mineure, de revenus pour les universités qui les hébergent. »

Au sujet de la presse, les auteurs notent que le média étatique China Daily a réussi à placer sa rubrique « China Watch », qui promeut le développement économique chinois, dans des journaux du monde entier. « Parmi ces publications, les journaux européens concernés sont : Le Soir et De Standaard en Belgique, Zemia en Bulgarie, Le Figaro en France (photo ci-dessus, © China Daily), Handelsblatt en Allemagne, El Pais en Espagne et The Daily Telegraph au Royaume‑Uni. »

Censure sans frontières

Autre vecteur de soft power, le cinéma, peut faire l’objet de « pressions officielles » bien au-delà des frontières chinoises. L’exemple le plus récent est le retrait du dernier film de Zhang Yimou, qui se déroule pendant la révolution culturelle, de la compétition du festival de Berlin. « Ces événements tranchent avec les efforts réalisés par la Chine pour promouvoir son soft power à travers des superproductions comme La Grande Muraille (2016) ou Wolf Warriors II (2017) », écrivent les auteurs.

Le secteur de l’édition ne serait pas épargné. Les auteurs estiment que l’autocensure d’ouvrages traduits vers le chinois est monnaie courante. « En substance, l’accès au marché chinois a un prix : il ne s’agit pas seulement d’établir un partenariat local, mais aussi de se soumettre aux conditions politiques locales. » Fouillé et bien écrit, le livre n’aborde toutefois pas un autre aspect du soft power, le moins académique mais pas le moins stratégique : celui des marques chinoises.